Chemin et histoire.

Un parcours atypique

Une première vie avant la sculpture .

Parfois la vie vous accorde plusieurs naissances. André Reymond sculpteur est né à 42 ans, après une existence où rien ne le prédisposait à devenir un artiste, du moins pas une claire, une explicite incitation. Il avait vécu enfant une scolarité tumultueuse, comme pressée de se terminer, d’aborder d’autres rivages. Une sorte d’impatience, de fébrilité le conduisait à rompre avec constance des liens qui jamais ne le satisfaisaient. Une voix intérieure le poussait à changer, à bouger, à aller encore et toujours ailleurs. Tout en restant fidèle à un périmètre donné, celui de sa venue au monde, en terre suisse.
Toujours happé par une exigence de renouvellement, le voilà travaillant dans le bâtiment puis, après un accident, se mettant au service des plus faibles, ceux qui attendent la fin en EHPAD, ceux qui n’ont plus la force de se battre, victimes des désordres moraux, sociaux si fréquents de nos jours.
Malgré sa jeunesse, le sens des responsabilités lui est naturel : il devient père à vingt ans à peine, fait face. Aujourd’hui, il a trois enfants, une fille et deux garçons, il est aussi grand-père de trois petites filles. La famille est un ancrage pour lui, conjointement à ses racines dans la terre natale.

Une renaissance par la pierre .

Et la renaissance lui arrive d’un coup, à Pâques 2014, sans crier gare. A posteriori, il se souviendra de « signes », il reliera entre eux des indices qui, indépendamment les uns des autres, ne faisaient pas sens. Un errant des temps modernes, sans domicile fixe, s’empare de ses mains et les contemple avec sidération ; il le sent sincère, pense néanmoins qu’il s’abuse. Une voyante lui enjoint de cesser de chercher à plaire aux autres par tous les moyens, de ne plus se préoccuper de correspondre à ce qui est attendu de lui, de vivre pour lui, en somme. Il l’entend, sans comprendre vraiment. Deux ans plus tard, c’est la Rencontre !

Pâques 2014. Comment serait-ce un véritable hasard ? Il se promène comme il en a l’habitude, jamais lassé des paysages montagnards de sa région.

Quand tout à coup il est saisi, il se sent la proie d’un appel qui ne tolère aucun refus : il doit s’emparer de cette pierre qui est là devant lui, qui semble l’attendre et lui lancer l’ordre comminatoire de la prendre, de l’emporter sans délai. Elle est parfaite, cette pierre, de forme ovale, d’une hauteur de 70 cm environ, c’est une pure calcique, elle invite à la contemplation et à l’action, elle est l’alpha et l’oméga. Il le sait, il est transi d’émotion et déborde en même temps d’énergie, de vitalité, d’exubérance et de reconnaissance. L’emmener avec lui ? Pas de doute, pas d’hésitation ! Il fait ce qu’il doit faire, sans pouvoir réfléchir ni s’interroger ou tergiverser. Parvenu chez lui, il ouvre la pierre (comment, pourquoi avait-il alors l’outil qu’il fallait ?) et c’est avec tout son corps, ses mains, son âme qu’il crée pour la première fois une œuvre unique, inspirante.
Le sort en est jeté : sculpteur il sera !

La sculpture, un corps à corps .

Plus rien ne compte. André se met jour et nuit au travail, ses proches ne peuvent le distraire. Dehors, par tous les temps, il s’affronte à la pierre, aux pierres des rivières, des chemins, chacune compte pour lui, recèle une vie propre qu’il lui appartient – il l’a à présent parfaitement compris – de magnifier, sublimer, révéler. Il est le chantre, le poète, l’esclave et le maître de la pierre, de toutes les pierres de ses rencontres. Il a atteint sa destinée, il s’accomplit dans son espace-temps, dans une dimension mystique qui lui ouvre toutes grandes les portes du domaine de l’intemporel, qu’il cherchait sans le savoir depuis si longtemps.
Humbles ou formidables, les pierres hantent son imagination, ne lui laissent nul répit. Ce sont elles qui décident et qui gagnent. Elles qui guident l’outil et sa main vers la transformation qui s’opère, vers l’œuvre créatrice qu’elles ne faisaient que dissimuler au tout-venant.